Sous les tropiques
Les Gambiers, où Hélène rejoint le bord, îles les plus est de la Polynésie française sont un immense volcan qui s’est progressivement érodé. L’érosion n’en a laissé aujourd’hui que quelques îles dont la principale, Mangareva, abrite l’essentiel de la population dans la capitale Rikitea. Eau claire et chaude, sable éblouissant, tout nous surprend. Nous y sommes comme sur une autre planète. L’arrivée dans ce coin le plus reculé de la Polynésie ne laisse pas voir la modernisation qui a eu lieu dans l’île de Tahiti et ses proches voisines. Le cap’taine qui a fait son service militaire à Tahiti il y plus de 30 ans a un peu l’impression de retrouver la Polynésie qu’il a connue. Bien que situées sous les tropiques, ces îles, où le mouillage principal est plus ou moins protégé de la houle par un platier de corail mais très ouvert au vent dominant, sont léchées par les dépressions d’hiver. Nous nous y trouvons finalement moins bien abrités que dans les caletas perdues de Patagonie.
Aussi, après les fêtes du Heiva (Juillet) où nous découvrons les danses polynésiennes, nous profitons de la première fenêtre météo pour filer aux Marquises où nous débarquons une petite semaine plus tard dans la Baie des Vierges à Fatu Hiva, probablement un des plus beaux sites de la croisière, un des plus rouleurs aussi comme le sont presque toutes les mouillages marquisiens. Nous avons adoré les Marquises : paysages grandioses et uniques, accueil chaleureux (nous sommes partis de Hua Pou chargés de fruits) et mouillages peu encombrés car nous y étions un peu tard en saison, (il peut y avoir jusqu’à 60 voiliers à Atuona où nous étions moins d’une dizaine).
Nous quittons ces îles extraordinaires pour les Tuamotou où finalement nous ne faisons pas escale pour cause de panne de batterie et après un salut aux cocotiers rencontrés sur notre route, nous piquons droit sur Tahiti où nous arrivons le 10 septembre. Nous avons la chance de trouver une place au Yacht Club d’Arué où nous coulons des jours heureux mais très occupés à remplacer batteries défectueuses et autres bricoles que l’on ne trouve nulle part en Polynésie française excepté à Papeete. De la famille nous y rejoignant bientôt, nous entamons avec eux une visite expresse des îles de la Société puis des îles Sous le Vent, avec une mention particulière à Huahiné (où nous assistons au départ de la plus grande course de pirogues de Polynésie) et au lagon de Bora Bora qui reste le plus beau en dépit de ses innombrables paillotes. C’est surtout un lagon où l’on peut mouiller parfaitement abrité dans 4 m d’eau ce qui n’est pas toujours le cas, le mouillage à Raiatea se faisant plutôt dans 20 à 30 m, ce qui est beaucoup moins confortable.
Nous entamons enfin la traversée des îles éparses de l’Océanie : Samoa, Tonga, Fidji pour nous arrêter de nouveau en Nouvelle Zélande. Cette dernière navigation ne nous a pas laissé les mêmes souvenirs éblouis qui nous restent de Polynésie française. Peut être parce que nous sommes blasés, peut être parce que nous avons eu un "hiver pourri" avec grains, déluges, vents changeants remplaçant l’alizé établi que nous attendions, peut être parce que l’accueil n’était pas celui que nous attendions aussi bien des habitants (toujours prêts à tendre la main) que des autorités (ah, le sourire du douanier en train de vous piquer un sac d’oignons !!). Bref, ça n’est pas la partie du Pacifique que nous préférons d’autant plus que ces îles sont très encombrées et surtout par des voiliers américains qui préfèrent ces îles anglophones à la Polynésie française. Toujours prêts à sortir leurs dollars, ils polluent ces îles en transformant les modes de vie traditionnels. Aujourd’hui, rien ne se donne plus, tout s’achète au prix fort…
Nous sommes maintenant arrivés avec Lève Rames, exactement de l’autre côté, sous nos pieds, en Nouvelle Zélande. Nous avons fait la moitié du trajet avant de boucler mais peut-on parler de moitié quand on sait que nous ne suivons surtout pas la ligne droite… En fait, nous ne bouclerons pas. Nous vieillissons et surtout Hélène (alias chef du service intérieur) pour qui la navigation devient de plus en plus difficile. Ne voulant pourtant pas abandonner définitivement (et si tôt) la navigation, nous avons envisagé d’adapter à ces nouvelles contraintes Lève Rames, dont nous aurions aimé ne pas nous séparer. Après avoir essayé vainement de le transformer, nous avons plutôt envisagé la construction d’un nouveau bateau, dit "geriatric boat".
Nouvelle Zélande, pays très sympa, rencontres très sympas, douaniers sympas (c’es possible !!), mais peu dépaysant pour qui a déjà sillonné l’Europe.
Nous avons eu l’occasion, dès notre arrivée en Nouvelle Zélande, de rencontrer Paul Farge, français installé là bas depuis une cinquantaine d’année. Il avait été équipier de Jacques Yves Le Toumelin sur le Kurun. L’ayant quitté à Tahiti, il a fini, au hasard d’autres navigations par arriver jusque là et cinquante ans après estime être le plus heureux des hommes dans ce "pays béni". Nous avons passé avec lui d’excellents moments et il a essayé de nous faire partager sa passion pour son pays d’adoption. Même si nous n’envisageons pas vraiment d’aller nous installer là bas, nous lui sommes très reconnaissants de son accueil. Il nous a fait connaître Henri Wakelam, bricoleur génial, ami de Bernard Moitessier qui parle de lui dans ses livres. Henri possédait encore la carabine à air comprimé de Moitessier, totalement rouillée et inutilisable. Voyant l’âge venir et son fils n’étant pas intéressé par les reliques des anciens navigants, Henri a eu l’idée de nous confier cette arme redoutable pour que nous la rapportions en France. Gilles a eu l’idée de la confier au Musée Maritime de La Rochelle qui possède déjà Joshua. Cela a bien failli être impossible pour cause de problème de douane sans commune mesure avec la dangerosité de l’engin. En Nouvelle Zélande, il n’y eut aucun problème avec la douane. A Nouméa, où nous avons fait escale sur la route de l’Australie, la carabine n’a suscité qu’un intérêt anecdotique des douaniers qui avaient rencontré autrefois Moitessier. En Australie, ce fut épique : il fallut obtenir une autorisation d’exportation d’armes du Ministère de la Défense et la vieille carabine, bien qu’entrée sur le territoire à bord de Lève Rames, ne put en ressortir que par avion, embarquée par un officier des douanes en personne après un mois de démarches. Aujourd’hui, elle a rejoint le bateau de son ancien propriétaire qu’une équipe de bénévoles "Les Amis du Musée Maritime de La Rochelle" font naviguer avec enthousiasme.
Ne souhaitant pas traîner en route (toujours pour cause de problèmes de santé familiaux), nous mettons le cap sur l’Australie où nous embarquerons Lève Rames sur un cargo à destination de l’Europe où nous pourrons le décharger de nos affaires personnelles qui s’accumulent à bord depuis 17 ans et malheureusement le vendre.
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